Lettre à Mohammed

Hommage à mon ami Pierre, sans son soutien ce cheminement n’aurait pas été possible.

Mohammed,

C’était le temps de nos cabanes dans le champ des vaches et des grimpettes dans le cerisier ; ce temps où tu me fis connaitre le grand Moustafa et Rachid ; et ces dimanches où nous rejoignions le « Capitole » ou le « Palace » pour retrouver nos héros sur grand écran. (Cité d’urgence d’Aulnay sous/bois années 1957/58. J’’avais 6 ans.)

Nos rencontres me sauvaient de ma « mère » et des lacérations au martinet qu’elle me faisait subir. Je pense aussi à ces hivers ou la nuit tombée elle m’enfermait dans le cabanon du fond du jardin ; j’hurlais d’angoisse et de détresse elle me balançait des seaux d’eau froide en plein visage. D’autres jours selon ses humeurs elle me faisait mettre à genoux sur un manche à balais trente minutes durant ; disant qu’il fallait bien me dresser …. !!

Bien plus tard et après la mort de mon père j’ai découvert des écrits d’une autre époque (1930) venant de sa famille adoptive, écrits qui venaient du service des archives de son lieu de naissance. La femme demandait au sous-préfet de remettre mon père quelques mois à l’assistance publique pour mieux le dresser…..(sic…)

Pour bien réaliser ce que je suis entrain de t’écrire Mohamed, il me faudra des années et l’aide de quelques psy dont Pierre devenu cet ami qui me soutint particulièrement dans mon expatriation marocaine au cours de laquelle je mettrais à jour les différents impacts de mon enfance. Là où les enjeux étaient surtout de survivre….

En effet quarante années plus loin je suis parti vivre dans les montagnes du haut Atlas. J’y suis resté huit ans.

Sans conscience j’allais tenter de retrouver des parfums de mon histoire et de devenir dans une autre famille en me mariant avec Saïda…

Je pouvais me demander comment j’en étais arrivé là ? Je cherchais en vain à retrouver des mémoires et mes copains d’antan. Je me vivais comme « maudit » par mon histoire. J’avais mal, mal à Rachid, à Mustafa et à toi mon ami Mohammed. Huit ans après mon arrivée il me fallut quitter tout cela pour ne pas risquer ma vie.

Je pense à ce jour de marché ou le bus prit en charge 40 personnes de trop, quelques kilomètres plus loin et après avoir donné le billet aux gendarmes en faction à la sortie du village. Au détour d’un virage dans la montagne : Plouf….Quarante morts. Nous apprenions qu’en plus le chauffeur avait remplacé l’huile de boite de vitesse par de l’huile de table….

Et ces femmes de la montagne qui faisaient en sorte de masquer leur grossesse au 4ème ou 5ème enfant, quand le bébé venait à la vie, il était étranglé et mis en terre.

Il y eut aussi madame la greffière au tribunal de Marrakech qui me prit à partie devant une foule de gens en hurlant que je venais d'insulter le roi. Elle m’avait fait revenir 4 fois dans la même semaine jusqu’au moment ou je compris la vraie nature de ses attentes. Je repris sur son bureau mon dossier mariage en lui disant que j’avais compris son manège et que je ne lui donnerais pas d’argent……

Ce jour là mon salut est venu de Saïda qui me cria de prendre mes jambes à mon cou…..

Tout s’achetait : le tribunal, les hôpitaux, les douanes, les polices, gendarmes etc…, je prenais de plus en plus de risques et le plus souvent sans m’en rendre compte tellement les injustices de mon environnement me submergeaient. Les ignorances du plus grand nombre faisaient le lit des corrupteurs ; ces «traitres à l’Islam » Saïda au prise avec ses peurs me conjurait de céder ou de me fondre dans la masse, pire encore de ne plus me montrer.

Elle fut prise en otage à la gendarmerie « royale » par l’adjudant commandant la brigade au motif qu’elle devait quitter « ce français ». Ce jour là elle est arrivé pétrifiée/sidérée tellement les menaces lui firent peur.

Je fus convoqué par un colonel suite à la lettre que j’adressais au général. Ainsi un soir nous eûmes la visite de l’adjudant en civil, il vint en rasant les murs et en civile, se débrouillant pour ne pas être vu (sic). Je me souviens lui dire qu’il avait fait très fort avec Saïda et que ce serait bien qu’il s’adressa à elle ….il le fit.

Ce soir là quand Saïda est revenue du hammam elle m’a dit : « Je viens de rencontrer Rabeyra c’est une vieille femme, elle est aveugle ; nous sommes voisins. Au hammam les femmes l’aident à se laver. Chez elle, elle dort sur une paillasse dans une cabane en terre qui se trouve juste derrière nos murs».

Je lui ai alors dis : « Serais-tu d’accord pour que nous allions lui rendre visite demain ? »

Quelques temps plus tard je devais m’absenter pour deux semaines je me suis adressé à la jeune femme qui s’occupait de Rabeyra pour lui demander de prendre le plus rapidement possible un rendez-vous chez un cardiologue »

Je devais constater alors que sans argent pour la corruption médicale l’urgence ne compte pas !! Un mois de délai !!

A mon retour c’est à la morgue que j’irais la chercher. Je l’ai rapatrié chez moi et aménagé une pièce pour les circonstances. Quelques femmes du village viendront la laver, puis elle sera recouverte d’un drap blanc.

Je demandais à l’imam de dire des prières pour Rabeyra ; à la mosquée en ma présence. Ma demande rencontra quelques résistances qui cédèrent grâce à l’intervention de deux camarades venus de Marrakech…

Les personnes du village voyaient cela d’un mauvais œil pour eux j’aurais du laisser le corps de Rabeyra à la morgue pour qu’il soit jeté au cimetière des chiens (Sic…) Mon cœur était lourd… !! D’autant que le jour de la mise en terre le village entier nous tourna le dos…

Je repense à Saïda et à ses paroles : «Je viens d’avoir en rêve : Rabeyra m’a dit que tu devais aller au bout de ton engagement sans compter sur les autres. Je lui ai dis alors en souriant : « Si tu la revois, dis lui que c’est d’accord »…

Puis il y eu mes visites à l’école du village, ce qui s’y passait pourrait là encore nous prendre à la gorge : Pas de chauffage l’hiver et en pleine montagne…Les enfants devaient faire leurs « besoins » au milieu de la merde de leurs camarades…J’y suis entré et j’ai vu.

Et quoi que je fasse pour pallier à ces merdiers, rien n’y changeait… !!! Il y eut aussi ma découverte de ce puit ouvert et laissé à l’abandon : 3 mètres de diamètres et 35 mètres de fond à 30 mètres de l’école. Sans aucune protection ! Passé ma sidération le lendemain je le fis recouvrir d’une dalle et, bien entendu sans demander à quiconque son autorisation !!…. Je ne suis jamais descendu voir ce qui s’y trouvait !.....

C’est le super caïd qui détourna le bois de chauffage destiné a l’école pour alimenter les cheminées que j’avais fait construire ! Nous étions très loin Mohammed des images que ce pays cherche à donner de lui.

Je devais faire face à un véritable culte des ignorances de ceux qui désignent un dieu au ciel alors même qu’il est écrit dans la sourate de la vache : « il est plus poche de toi que ta veine jugulaire ».

Ils n’avaient rien à envier aux grenouilles de bénitiers de nos églises ! Là étaient les assises du dressage du pouvoir.

Ce jour là mon camarade Abdourahim me dit : « Si tu envisages une réflexion critique sur le sujet de la circoncision alors je ne peux pas écrire avec toi ce livre » Nous avions ce projet d’un écrit commun. Il avait très peur…..Ma lecture du Coran me disait que c’était l’aliénation des croyants qui donnait autant d’importance à ce rite. Que j’étais en face d’une supercherie collective : Pas circoncis/pas musulman…ou encore : pas arabe/pas musulman. Je ne parle pas ici du blabla pseudo référé à l’Islam, mais bien d’usages qui contredisaient les croyances voire représentations qui sévissent à l’ombre des mosquées dans une grande négation de l’humain.

Plus tard encore je compris que j’assistais au réveil douloureux de cet enfant subissant, écrasé par ces « grandes personnes » éprouvées par leurs peurs et conditionnements divers. Elles croyaient au pouvoir de leur « savoir » et faisaient croire au père noël et aux apprentissages dans la grande confusion normalisée du « par cœur » et du « par tête » !!!

Je devenais un « Mécréant » fier de l’être qui repensait à cette socialisation des croyants dans les termes de : « Syndrome des mâles coupés » Et j’affirmerais que pour vivre un Islam du sens il importait d’identifier ce qui venait du non sens que je nommerais « Musulmaneries ».

S’affranchir des confessions et dogmes de tous poils. S’affranchir du vrai sens du mot spirituel : les choses de l’esprit et j’ajoutais : « vivant ».

Prendre conscience du sens de l’altérité. Sortir des confusions entre imaginaire et symbolique, distinguer le mot Foi du mot croyance. Le peintre Magritte avec sa pipe ne s’y était pas trompé….

Qu’en est-il de nos identifications ? De nos peurs de celles qui conduisent tout droit à l’ignorance de nos véritables besoins ? Pas de réponse collective, mais bien des chemins, des voies, des parcours individuels/personnels. Avec ton accord mon ami je laisserais ces questions suspendues en souhaitant que bien d’autres cheminent vers des réponses vivantes !

Ton ami Jean-Jacques